"A Pau, Todd dénonce le vide du projet économique du PS"
À Pau, à l’occasion de leurs Journées parlementaires, les responsables PS ont tous usé d’un même slogan: «la République est abîmée». Mais il aura suffi d'Emmanuel Todd pour rappeler que si l’unité règne, ça n’est vraiment pas parce que le Parti socialiste a su régler les questions les plus fondamentales. Comme son rapport au libre-échange…
(...) Les quelque 300 députés et sénateurs PS devaient se pencher sur la « République abîmée » — cette bête laissée pour morte par Nicolas Sarkozy après trois années passées à l’Elysée — et voilà qu’en introduction, c’est un autre sujet qui s’invite à leur table. Un sujet beaucoup moins « facile ». Un sujet même très déplaisant au PS : qu’elle est la position du premier parti d’opposition à l’égard du libre-échange ?
La « faute » au démographe Emmanuel Todd, ardent défenseur du protectionnisme, invité à s’exprimer avec le politologue Stéphane Rozès en ouverture des débats. Malgré un préambule tout à l’avantage du PS (« Je voterai socialiste à la prochaine présidentielle quel que soit le candidat ») (*), notre homme ne peut s’empêcher d’appuyer là où ça fait mal : « Le Parti socialiste n’a pas de programme économique », lance-t-il à la face de l’auditoire. « Le Parti socialiste est en dessous », ajoute-il. Et Todd de décrire une « société atomisée » qui ne saura se réconcilier avec le PS qu’à la condition que ce dernier accepte de « balancer le concept complètement ringard de libre-échange » pour lui substituer un « protectionnisme européen ». Si tel était le cas, explique-t-il, « les gens auraient autre chose sous les yeux que ce monde de rétrécissement ». En attendant, par son positionnement — ou plutôt par son absence de positionnement — le PS nourrirait « le sarkozysme » plus qu’il ne le combattrait.
Emmanuelli: « Le protectionnisme, c'est le sujet numéro un ! »
Quelques applaudissements montent de la salle. Mollement. Mais ils sont là. Et la maîtresse des lieux, la députée-maire de Pau Martine Lignières-Cassou, ne peut s’empêcher de reprendre le micro pour lui répondre. Elle juge son « analyse très pessimiste », son propos « très critique » à l’égard du parti qui l’invite et finit par conclure en expliquant ne pas « [adhérer] au discours sur le déclin ». Henri Emmanuelli, du fond de la salle, prend la suite et fait entendre un tout autre son de cloche : « Emmanuel Todd, rassurez-vous, ce sujet sera abordé ». Pour le député des Landes, le protectionnisme a beau être un « mot tabou », c’est pourtant bien « à ça qu’il faut réfléchir », assène-t-il à ses camarades, « C’est même le sujet numéro un ».
Las, le protectionnisme n’a guère de partisans au-delà de l’aile gauche du PS à laquelle appartient Emmanuelli. À l’issue de la plénière, ce dernier le reconnaît aisément : « On les a intoxiqués pendant près de quinze ans. Ils sont tombés dans la vulgate libérale pour le plus grand bonheur des libéraux. » Mais « ça bouge », concède-t-il. Il est vrai que les parlementaires qui sont proches d’Henri Emmanuelli et de Benoît Hamon s’enorgueillissent d’avoir fait entrer le protectionnisme dans les textes du parti. Au prix d’un petit virage sémantique. Adieu donc le mot « protectionnisme ». Trop anxiogène sans doute. Bienvenu au « juste échange » et aux « écluses » sociales et écologistes. Qu’importe. Du côté des parlementaires les plus à gauche du PS, on se réjouit d’avoir eu l’oreille de la Première secrétaire et ce, quel que soit le vocabulaire finalement retenu.
« Martine Aubry s’enfonce dans une stratégie d’attente »
Reste que si c’est à Dominique Strauss-Kahn que revient finalement la tâche de conduire le PS au combat élyséen, le « juste échange » et autres « écluses » risquent de finir aux oubliettes. « Si Aubry n’y va pas, lâche un député hamoniste, il faudra que Benoît aille aux primaires ». Pour l'heure, ça ne semble pas d'actualité. L'aile gauche a misé sur la maire de Lille plus que sur l'exilé de Washington : « Si en janvier, Aubry dit qu’elle va à la présidentielle, DSK ne pourra pas y aller, explique un proche d'Emmanuelli, Le problème, c’est que Martine Aubry s’enfonce dans une stratégie d’attente. Il faut faire attention : la politique, c’est le mouvement » !
Mais beaucoup de responsables socialistes ne sont pas prêts pour deux sous à prendre le chemin du mouvement. Surtout quand ce chemin conduirait non pas à Rome, mais au protectionnisme. C’est le cas de Jean-Noël Guérini, celui-là même qui se perdait dans la lecture de La République des Pyrénées pendant qu’Emmanuel Todd expliquait l’impérieuse nécessité pour le PS de s'y convertir : « Je suis un européen convaincu, explique l’élu marseillais, Et il faut que l’Europe s’ouvre, tout en préservant nos propres acquis. Être socialiste et de gauche, c’est s’ouvrir. » Et de rappeler, comme si de rien était, que ce débat est un « vieux débat qui existait déjà sous Rocard et Mitterrand. » Un vieux débat qui n’a donc toujours pas été tranché. Un vieux débat qui avait contribué à multiplier, dans les années 1990, ceux que l’on nommait les « déçus du socialisme ». Claude Bartolone estime, lui, que le désenchantement a changé de camp : « La droite est en pleine période “déçus du sarkozysme”. » Mais la France n’est pas encore en pleine période « convaincus du socialisme ». Si ce n’est par défaut…
Source : Marianne2
Hervé Juvin sur la fin du "libre échangisme" pour Realpolitik.tv :
(*) Emmanuel Todd n'échappe pas aux contradictions; ex : il a voté pour le Traité de Lisbonne.
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