samedi 30 octobre 2010

Après la démocratie sort en Poche


Critiques de l'ouvrage : 

Jacques Sapir : "Je suis démocrate donc souverainiste"

Extraits d'un entretien de Jacques Sapir accordé à Malakine le 12 octobre 2009. Vous pourrez le consulter en intégralité ici.
Remarques d'ordre général : 
On appréciera tout particulièrement le réalisme de Jacques Sapir dans ses propositions politiques pour la mise en oeuvre d'un protectionnisme. La première étape, selon lui, à défaut de mieux, doit être une protection dans le cadre national, et ce n'est qu'à partir du moment où nous avons regagné notre liberté que nous pourront établir des coopération à un niveau européen élargi. C'est à l'évidence le chemin le plus direct et en fait le seul possible pour changer l'Europe; pour changer l'Europe il faut d'abord changer la France pour résumer, les institutions européennes étant verrouillées par l'idéologie et paralysées dans un "stratagème des chaînes" comme le décrit très bien François Asselineau.
Jacques Sapir rappelle également qu'il ne saurait y avoir de démocratie sans souveraineté; - ce que certains ont parfois du mal à comprendre : la souveraineté, dans tous ses attributs, est la puissance que met en œuvre une nation pour aboutir à ses objectifs; c'est aussi avoir la compétence de sa compétence, ce qui n'est plus le cas actuellement. 
Une autre remarque très pertinente de Jacques Sapir est de préciser que le sursaut doit s'exercer dans le cadre national et que le mondialisme, l'alter-mondialisme, l'internationalisme anti-national (pour ainsi dire) font fausse route. 
Enfin, il appelle à la formation d'une forme d'Union sacrée qui transcenderait l'intérêt des partis, encore une fois cela tombe sous le sens.

  



Depuis plusieurs années, le protectionnisme a été défendu pour une mise en œuvre à l’échelle communautaire. Pourtant, dans un texte récent « Un an après » vous laissez la porte ouverte à un protectionnisme national. Dans l’idéal et d’un point de vue purement technique, quel serait le périmètre optimal pour une politique néo-protectionniste ?

Il est clair que, techniquement, plus grande et plus homogène est la zone qui se protège et meilleur en est l’effet. De ce point de vue, une zone qui correspondrait au noyau initial de la CEE me semblerait optimal. On pourrait sans doute y ajouter la Suède et le Danemark. Mais, nous sommes confrontés à deux problèmes :
- Tout d’abord le démantèlement d’une partie de la protection sociale tel qu’il est organisé en Allemagne (...)
- Ensuite, les oppositions au néo-protectionnisme risquent d’être virulentes en Allemagne et aux Pays-Bas.
C’est pourquoi le périmètre réaliste sera probablement – du moins pour une période initiale – plus faible que le périmètre « optimal ». On peut penser qu’une alliance France-Italie-Belgique pourrait constituer une bonne base de départ. Cependant, on ne doit pas exclure une solution purement nationale. Dans la situation actuelle, tout est préférable au statu-quo. Néanmoins, il faut comprendre qu’une telle solution nationale serait appelée à s’élargir rapidement.
Notons que si les autres pays réagissent à la démarche protectionniste de l’un d’entre eux en mettant, à leur tour, des barrières protectionnistes on aura beau jeu de leur dire « pourquoi pas tous ensemble ? ».
Ce qui me fait penser que tenter le saut du protectionnisme ne serait-ce qu’au simple niveau de la France ne présente aucun risque. (...)
Le véritable problème est celui du tabou qui pèse aujourd’hui sur le protectionnisme. Qu’il saute et d’une certaine manière nous avons gagné.

Patrick Artus dans son dernier Essai « Est-il trop tard pour sauver l’Amérique » affirme qu’une politique protectionniste ne pourra pas conduire à une réindustrialisation. Pour lui, les activités industrielles qui se sont délocalisées ne reviendront pas (au nom d’un argument non développé lié à l’élasticité-prix) La réindustrialisation ne pourra se faire qu’avec des nouvelles industries. Qu’en pensez vous ? Peut-on réellement fixer comme objectif à une politique protectionniste de renforcer la base productive de la zone protégée ?
 
La question des élasticités-prix est effectivement une question décisive(...) Il faut que la baisse du prix de nos produits l’emporte de loin sur tout « effet qualité » et qu’inversement, la hausse des produits importés soit telle qu’elle enclenche une réelle contraction des volumes et le développement d’industries de substitution.
Concrètement, il faut combiner des mesures protectionnistes ciblées et de grande ampleur avec une dévaluation d’au moins 20%.
Il faut ajouter, et je pense que c’est évident, que de telles mesures ne sauraient remplacer une politique industrielle. (...)
je considère le protectionnisme comme l’élément déclencheur mais ne résumant point toute une politique de ré-industrialisation et dans laquelle j’inclus la constitution d’un pole public du crédit ainsi que la participation de l’État ainsi que des collectivités territoriales à certaines activités.
 
Dans votre dernier texte sur la dette publique, vous préconisez un retour au franc afin de faire face à la surévaluation de l’Euro et pouvoir renouer avec la dévaluation, ce qui dîtes-vous, pourrait rendre inutile la mise en œuvre de politiques protectionnistes. Cependant, la dévaluation compétitive est une stratégie que tous les pays recherchent actuellement afin de compenser une demande intérieure atone par un surcroît de compétitivité à l’export et ainsi pouvoir accrocher leur croissance à la « demande extérieure ». Cette stratégie n’est-elle pas vouée à l’échec si tous les pays la pratiquent ? Du point de vue de la stimulation de la demande globale, quelle solution est-elle préférable : une dévaluation monétaire ou une monnaie plus forte associée à des protections commerciales?
  
les stratégies de croissance qui cherchent aujourd’hui à s’arrimer sur une « demande extérieure » sont vouées à l’échec. Si tout le monde comprime sa demande intérieure pour aller chercher dans la demande externe les sources de sa propre croissance, on voit bien qu’au final nous aurons une baisse importante de la demande agrégée à l’échelle internationale. Des économies de relativement petite taille peuvent espérer s’arrimer à la croissance d’un « grand pays ». Mais, aujourd’hui, nous voyons bien dans le cas de la Chine qu’une telle politique touche à ses limites. En fait, dans le cas chinois, la politique de prédation n’a été qu’un raccourci pour atteindre le niveau technique qui permettra à la Chine de se retourner sur son propre marché intérieur.
La croissance, partout et toujours, est liée à une croissance de la demande intérieure. (...)
dans le cas de la France il nous faut combiner une dévaluation et des mesures protectionnistes pour pouvoir nous donner la marge de manœuvre nécessaire en raison de l’avantage acquis par l’Allemagne entre 2001 et 2005 quand cette dernière a transféré sur les ménages une partie des charges portant sur les entreprises. C’est ce que l’on a appelé dans le débat français la « TVA Sociale ». C’est une mesure typique d’une politique d’expansion par la demande extérieure, car on réduit sa propre demande tout en rendant ses entreprises plus concurrentielles. C’est la raison pour laquelle, d’ailleurs, je me suis opposé à la TVA sociale en France.
Les mesures structurelles que j’ai mentionnées, pole public du crédit, intervention de l’État, politique industrielle, ne sauraient cependant être immédiatement efficaces. Elles ont besoin d’un certain délai pour faire sentir leurs effets. (...)
D’une certaine manière, ces politiques seraient bien plus efficaces si elles étaient mises en œuvre de manière coordonnées. (...)
Mais, dire que ces politiques seraient plus efficaces à plusieurs ne signifie pas qu’elles seraient sans efficacité si elles étaient mises en place au niveau de la France seule. 
Plus fondamentalement, nous devons faire basculer notre structure de consommation vers des biens qui sont plus collectifs. Une stratégie à 5 ou 7 pays de développement coordonné des biens publics et du transport serait certainement plus efficace. Cependant, et j’insiste sur ce point, il y a des marges de croissance à exploiter même dans une politique menée à l’échelle de la France.
Si nous pouvions cependant nous mettre d’accord rapidement avec certains de nos voisins, en particulier, nous pourrions certainement réduire l’ampleur de la dévaluation initiale. Cependant cette dernière, en raison de la politique sociale de l’Allemagne, est inévitable.

Votre texte « un an après » se conclut par un appel au rassemblement dans le cadre de l’élection présidentielle de 2012 sur la base d’un programme de rupture. A quel type de rassemblement pensiez-vous ? Un rassemblement politique au-delà des clivages traditionnels, un rassemblement d’intellectuels pour construire ce programme ou à l’émergence d’un nouveau mouvement citoyen ?

Tout rassemblement de citoyens et d’intellectuels doit déboucher sur un rassemblement politique ou se condamne à l’impuissance. Celui que j’appelle de mes vœux ira de l’extrême gauche jusqu’aux néo-gaullistes qui partagent nombre de ces idées. Elle exclura cependant une fraction du PS qui me semble engagée dans la dérive des « néo-socialistes » de Marcel Déat dont l’article « Mourir pour Dantzig ? » trouve un étrange écho dans certaines affirmations néo-libérales et prises de positions pour le libre-échange. Il s’exprime une véritable haine de la Nation et de la Démocratie dans ce courant et dans ces pratiques quotidiennes.
Cependant, une telle alliance implique un programme clair et des dirigeants qui sachent faire taire leur sectarisme. En tant que citoyens nous pouvons, dans différents clubs, contribuer à ce programme. (...)
 
L’un des arguments les plus souvent opposés aux thèses néo-keynésiennes ou protectionnistes vient de la nouvelle écologie radicale, dont les thèses sont actuellement en vogue, pour laquelle la crise est en premier lieu écologique. Ils affirment que l’épuisement en cours des ressources naturelles est incompatible avec toute idée de relance par la consommation. Que leur répondre ?
 
La dimension de crise par épuisement des ressources naturelles est incontestable. Dans le même temps, la financiarisation des marchés de matières premières explique dans une large mesure leur instabilité.
Je suis parfaitement conscient que ce n’est pas à une simple relance de la consommation que nous devons procéder mais bien à un basculement vers des consommations à la fois plus collectives et plus économes en matières premières et en CO2.
Mais, comment appliquer de telles mesures quand :
- Les prix de l’énergie varient en quelques mois de 4 à 1 (de 147 USD le baril à 37 USD) ?
- Certains pays, et non des moindres, refusent d’appliquer un accord international comme le protocole de Kyoto ?
- L’Europe soumet les infrastructures (dans la distribution de l’énergie, dans les transports) à la logique de la concurrence et du découplage (unbundling) ce qui empêche des grandes politiques publiques ?
(...) Les marchés des matières premières, et pas seulement le pétrole mais aussi les produits agricoles, sont devenus des « marchés financiers ». Il faudra bien que l’on s’entende avec les pays producteurs pour sortir ces produits de la logique de la financiarisation et pour en réguler les prix.
Pour qu’une véritable politique des transports se mette en place, il nous faudra révoquer les directives européennes sur les transports ferroviaires et sur l’énergie. (...)

Enfin, sur l’énergie, la politique actuelle a déjà provoqué des désastres (en Californie et en Italie) et elle nous conduit à surpayer l’électricité « privée » issue des parcs d’éolienne. On a ici soumis ce qui devrait être du niveau du long terme à la logique du marché, soit celle du court terme. Il nous faudra ici aussi révoquer ces directives stupides et reconstituer des monopoles nationaux qui sont les seules entités réellement capables de penser dans le long terme (25 ans) une politique de l’énergie.

L’Europe « verte » est un leurre, au même titre que l’Europe « sociale ». Les écologistes commencent à le comprendre. Lors des manifestations des producteurs de lait à Bruxelles, on a vu José Bové mais pas Daniel Cohn-Bendit. Cette alliance entre les deux courants est purement conjoncturelle. Elle est de plus contre nature (et contre la nature).
En réalité, c’est bien un Keynésianisme « vert » que j’appelle de mes vœux, mais il faut comprendre qu’il ne se fera pas dans le cadre du libre-échange, de la libre circulation des capitaux, et qu’il impliquera un réinvestissement par l’État de nombre de secteurs dont il s’est retiré.

Les thèses que vous défendez sont au service d’un idéal de gauche  (transformer le capitalisme, assurer une répartition plus juste des revenus, desserrer les contraintes actionnariale et concurrentielles qui pèsent sur le salarié…) D’un autre coté, elles mettent en avant des solutions plutôt classées à droite comme le retour à la nation ou l’exigence de souveraineté. Cette ambivalence peut expliquer pourquoi ces thèses ont tant de mal à percer dans le débat public. Aujourd’hui, le discours de souveraineté nationale est surtout porté par l’extrême droite avec des relents identitaires, et le discours de contestation de l’ordre néolibéral n’est porté que par l’extrême gauche mais celle-ci reste attachée à son internationalisme, ce qui rend la contestation stérile. Peut-être que ces idées seraient plus lisibles dans le débat public si elles pouvaient être résumée par un vocable simple et identifié. Quelle appellation proposeriez-vous ?
 
Je suis profondément persuadé que la souveraineté est une valeur de gauche et non de droite. Tout d’abord parce qu’elle est essentielle à la démocratie. On peut avoir la souveraineté sans la démocratie, mais on a JAMAIS eu la démocratie sans la souveraineté. La démocratie implique la souveraineté car il faut bien préciser qui est responsable de quoi. Je constate que la gauche fut par ailleurs autrefois très attachée à la Nation.

(...) dire que l’on partage les mêmes problèmes ne signifie pas que l’on peut élaborer ensemble des solutions nécessairement communes. Les cadres politiques, les institutions, sont des créations de l’histoire et elles spécifient les espaces nationaux comme des espaces politiques particuliers. Ce sont dans ces espaces politiques particuliers qu’il nous faut trouver des solutions. 
(...)  Le fédéralisme aujourd’hui, en Europe, ne peut être qu’un projet anti-démocratique. Ce n’est pas un hasard si Hayek, quand il bascule vers la fin des années 1960 dans le conservatisme (qui n’était pas sa position initiale) se fait l’apôtre de règles conçues hors de toute démocratie et in fine de nature divine, justement pour tenter de limiter le mouvement des institutions qu’implique la lutte des classes.
(...)

 Benoit Hamon a répondu à lettre ouverte que vous lui avez adressée en affirmant que l’Euro permettrait aujourd’hui une relance par une stimulation de la demande (consommation et investissement) sans qu’il soit nécessaire de dévaluer comme au moment de la relance de 1981. Que lui répondez-vous ?

Lire l'intégralité de l'entretien sur le blog de Malakine.

  Jacques Sapir.
Propos recueillis par Malakine

vendredi 29 octobre 2010

Bientôt une Europe complètement "otanasiée" ?

Joao Marques de Almeida, conseiller du président de la Commission européenne José Manuel Barroso, a déclaré vendredi que  
la meilleure solution pour le renforcement des relations entre l'Union européenne et les Etats-Unis serait l'adhésion de l'UE à l'OTAN.

Marques de Almeida a fait cette remarque au cours d'un séminaire organisé par l'Institut national de la Défense à Lisbonne. Avant de devenir conseiller de M. Barroso, il était président de l'Institution portugaise, un organisme de réflexion gouvernemental sur la politique stratégique et de défense.


Source :

La liberté d'expression pour les nuls


Interrogé juste avant le passage de Jean-Marie Le Pen au CFJ, il (Jean-Marie Cavada) trouve l'idée (d'inviter Le Pen au Centre de formation des journalistes) « bien étrange » :


« En citoyen français et européen, je me suis toujours refusé à le recevoir, contrairement à Virieu, Elkabbach et consorts qui le faisaient soit pour faire de l'audience, soit par stratégie politique, dans le sillage de François Mitterrand.
Ces tripatouillages n'avaient pas grand-chose à voir avec la vie démocratique, et le recevoir va à l'encontre des fondamentaux du journalisme [Jean-Marie Cavada semble confondre journalisme et stalinisme] : il parle contre les faits, notamment sur la guerre, ce qui est une tâche impardonnable [comme le militant sur la vidéo affirmant que "les communistes n'ont jamais fusillé personne" ? Pourquoi Cavada ne proposerait-il pas la généralisation de la loi-Gayssot ?] ; il heurte la cohésion sociale et politique [Comme Nicolas Sarkozy quand il refuse tout débat sur les retraites des français ? Comme l’UMP et le PS quand ils passent outre le vote des français au référendum de 2005 ?] ; il est un anti-européen acharné [ une nouvelle infraction du code pénal ? Ne faut-il pas tirer les conséquences du vote des français au référendum sur le TCE en  2005 et en profiter pour passer de la démocratie à la "gouvernance" européenne ? ] qui ne se prive pas des émoluments du Parlement européen où il siège [ le style de la maison c'est donc la corruption institutionnalisée ? On rémunère l'européisme : "on te paye et tu la fermes" ?].
Pour moi, ce n'est pas en le recevant au CFJ qu'on apprend à faire son métier mais en lisant, en se cultivant sur ce qu'il dit au lieu de le banaliser. »

Sources :
Rue89
http://www.enquete-debat.fr/

Eurokritik

jeudi 28 octobre 2010

Panne d’inspiration chez Taddéï

Le mercredi 27 octobre 2010 l’émission culturelle quotidienne de France 3, « Ce soir (ou jamais !) » avait pour invités Ramzy, Stéphane Guillon, Eric-Emmanuel Schmitt, Houria Bouteldja, Mara Goyet et Guy Millière qui abordèrent dans la revue de presse « la torture en Irak, l’école face au communautarisme et Georges Frêche ». Un plateau représentatif de la certaine panne d’inspiration qui semble toucher Frédéric Taddéï dans le choix des invités…

De « ce soir (ou jamais !) »…



« Ce soir (ou jamais !) » a maintenant quatre ans. Présentée par Frédéric Taddéï, l’émission culturelle a connu un important succès sur le net comme le prouve les nombreux extraits repris par les internautes par le biais de sites de partages de vidéos comme Dailymotion et Youtube. Le secret de l’émission, à mon sens, tient en trois éléments :

1. Le choix des invités : une des grandes forces de l’émission qui lui a permis de se différencier des autres émissions de débat du même genre. On a pu y voir des invités habituellement peu présents (eux-mêmes ou leurs points de vue) dans les médias et qui ont pu apporter leur éclairage sur les thèmes abordés. Me viennent à l’esprit pèle-mèle : Jean Bricmont, Michel Collon, Alain Soral, Houria Bouteldja, Alain De Benoist, Marc-Edouard Nabe, Dieudonné, Noam Chomsky, Tristan-Edern Vaquette, Shlomo Sand, Paul Ariès, Anne-Marie Le Pourhiet, Slobodan Despot, Hamé, Paul Jorion, René Girard, Robert Baer, Alain Badiou, Tarik Ramadan, Paul-Marie Couteaux, Rony Brauman

2. Les thèmes abordés : reprenant ou non l’actualité de la semaine, permettent d’approfondir, de faire une pause sur un sujet particulier.

3. Le dispositif : il laisse la plus grande liberté aux intervenants. Le « présentateur » s’éfface et n’intervient pas comme cela se fait usuellement, pour donner son avis et une contradiction le plus souvent formatée dans le sens du « politiquement correct ». Les conditions sont ainsi réunies pour une contradiction libre et non faussée.

Ces trois éléments combinés font tout l’intérêt et la spécificité de l’émission et ont abouti à des débats souvent plus intéressants que la moyenne. Si l’on devait trouver un critère objectif pour justifier cette affirmation, on pourrait se fonder sur les extraits repris sur les sites de partages de vidéos ou de débat, et l’on verrait que l’on est pas obligé de se reposer sur la notoriété des invités ou sur des thèmes au rabais pour intéresser le public.

Or, suivant l’émission depuis le web où elle retrouve une seconde vie, je ne peux que constater un certain changement qui la rend moins intéressante qu’auparavant. De quel changement s’agit-il ? Le dispositif et les thèmes abordés n’étant pas vraiment mis en cause, c’est du côté du choix des invités qu’il se situe.


à « ce soir (comme tous les soirs chez Taddéï !) » ?

En effet, il me semble percevoir une certaine dérive dans le choix des invités qui dénote un manque d’inspiration de la part de Frédéric Taddéï. Cette dérive prend à mon sens les deux directions suivantes :

1. une plus grande place laissée aux personnes connues en général :
Ramzy, Guillon, Zemmour, Damien Saez, Eric Besson, Bernard-Henri Levy, Eric Woerth, Eva Joly, Nicolas Dupont-Aignan, Jean-Luc Mélenchon, Caroline Fourest, Elisabeth Levy, Jacques Attali, Alain Minc, Timsit, Didier Porte
Quand on invite un politique, en général, il faut contrebalancer en en invitant un d’un parti concurrent la fois prochaine, au final la part des politiques invités risque de devenir envahissante.
Ensuite, ce n’est pas parce que certaines personnes ne sont pas tant invitées que cela dans l’émission en question que cela prouve nécessairement une quête de « diversité » et de liberté d’expression, sinon la venue de Jacques Attali, d’Alain Minc, de Caroline Fourest, de Stéphane Guillon, d’Eric Zemmour pourrait être invoquée pour montrer qu’on invite pas toujours les mêmes.
Or, à l’évidence il faut également prendre en compte l’exposition médiatique dont bénéficient les invités, car sinon l’émission contribue à voir et entendre davantage ceux qui le sont déjà le plus, ce qui est pour le moins paradoxal pour une émission intitulée « ce soir (ou jamais !).

2. un jeu de rôle avec des monopoles :
Tout aussi embêtant, et peut-être davantage encore est de constater la formation de petits monopoles de l’invité « dissident ».
L’émission se sclérose quand on commence à attribuer des rôles aux uns et aux autres et qu’on donne l’impression qu’il n’y a qu’une forme de contradiction possible comme il n’y a qu’une façon d’être « dans le rang » du politiquement correct.
Ainsi,  c’est de moins en moins ce soir ou jamais que l’on voit Houria Bouteldja (qui aurait été invitée pas moins de 14 fois (maintenant 15) d’après le site Enquête & Débat) , Marc-Edouard Nabe ou Tarik Ramadan, et de plus en plus tous les soirs chez Taddéï.

Se reposer ainsi sur les mêmes pour apporter la contradiction nécessaire me semble tout à fait préjudiciable.


…Et pour certains « ni ce soir (ni jamais !) » ?

Car pourtant les personnes à inviter ne manquent pas… Dans son émission du 27 octobre 2010 où était entre autre abordée la torture en Irak on voyait ainsi une configuration peu inspirée et peu cohérente.
En effet, Stéphane Guillon, Houria Bouteldja et Ramzy, tous trois contre la guerre en Irak et critiques de l’occupation américaine faisaient face à Guy Millière, géopolitologue néo-con favorable à la guerre en Irak. Frédéric Taddéï a donc déniché une personne favorable à la guerre en Irak et qui tient encore cette opinion en 2010 devant les caméras de télévision, c’est intéressant à entendre, mais quel sens peu avoir une opposition entre des comiques et un géopoliticien sur un sujet qui relève de la géopolitique ? L’un va s’appuyer sur ses connaissances de spécialiste tandis que les autres se serviront de leurs impressions générales. Houria Bouteldja quant à elle s’opposa à Guy Millière mais comme dit auparavant, elle commence à avoir un abonnement chez Taddéï et n’est pas non plus géopoliticienne.
Bref, dans cette situation il aurait bien évidemment fallu que la contradiction puisse se déployer entre au moins deux spécialistes représentant chacun les deux principaux courants d’opinion sur la guerre en Irak. D’ailleurs, on constate qu’en général les géopoliticiens présents dans l’émission sont du même courant d’opinion, comme si les géopoliticiens ne pouvaient être que pour la guerre en Irak ou que contre la Russie et l’Iran : Alexandre Adler, Frédéric Encel, Bruno Tertrais, François Heisbourg, Guy Millière

Il est curieux tout de même de constater qu’Aymeric Chauprade n’a jamais participé à l’émission… Ce n’est certainement pas par manque de compétences, ni de publications. De plus il a également participé à des émissions de débats (sur la guerre en Irak justement) et historiques, donc il n’est pas inconnu. Et par opposition à ceux cités plus haut, il est, entre autre, critique des Etats-Unis.




Sur d’autres sujets, je déplore également n’avoir jamais vu (ou pas assez) François Asselineau (alors même qu’il est plébiscité sur le forum de l’émission) pouvoir s’exprimer notamment sur la construction européenne, Pierre Hillard débattre de géopolitique et de think tanks, Hervé Juvin, Paul-Eric Blanrue, Roland Hureaux, Pierre Carles, Jacques Généreux, Jacques Sapir, Etienne Chouard, Jacques Cheminade, Annie Lacroix-Riz, Eric Laurent, David Mascré, Michèle Tribalat, Michel Drac, Alain Supiot, Jean Claude Michéa etc. etc.


Tout ceci n’est que la preuve que l’objet de l’émission de Taddéï n’a pas été épuisé et que de nombreuses personnes développant des idées intéressantes tout en étant peu représentées dans les médias peuvent apporter leur contradiction dans une émission qui est dédiée à cela, au moins en partie. 

Eurokritik

mardi 26 octobre 2010

Mise sous tutelle des budgets : faut-il fermer le palais Bourbon ?

Le principe du "semestre européen" vient d'être adopté. Quelle légitimité possèdent donc les fonctionnaires de la Commission, élus par personne, pour valider ainsi les budgets nationaux ? 

Un recul considérable de la démocratie passe inaperçu...

 ...c'est ce qu'auraient dû annoncer les gazettes la semaine dernière. Un site boursier nous rappelle en effet que le principe du "semestre européen" vient d'être adopté.

Il s'agit de donner la primeur du cadrage des budgets nationaux à la technocratie bruxelloise, qui pourra valider le budget français avant examen par le Parlement français : "
Les ministres des Finances de l'Union européenne ont donné mardi leur accord pour que leurs projets de budgets nationaux soient examinés au niveau européen au printemps de chaque année à partir de 2011, avant qu'ils ne soient adoptés par leurs Parlements."

On peut se poser la question de savoir si les Parlements nationaux conservent leur utilité. Une fois qu'un projet de budget aura reçu l'aval de Bruxelles,  l'ardeur modificatrice des pauvres députés de la région France sera bien refroidie.

Il faut faire confiance aux fonctionnaires européens pour passer les budgets à la paille de fer. Comme l'écrit Boursorama : "La création du semestre européen entre dans le cadre des efforts en cours des pays européens pour durcir leur discipline budgétaire commune, afin de tirer les leçons de la crise de la dette en Grèce qui a fragilisé les fondements mêmes de la zone euro au printemps."
 L'intention est donc clairement coercitive.

Quelle qualité possèdent les fonctionnaires de la Commission, élus par personne, pour valider ainsi les budgets nationaux ?

Ils sont bien payés.
La grille salariale publiée (en anglais) par Bruxelles, montre ainsi que bien peu de salaires sont inférieurs à 6000 € nets mensuels. Dans une ville où le coût de la vie est nettement inférieur à celui de Paris, sans impôt - puisque nos braves fonctionnaires ne sont que très marginalement imposés - cela offre un certain recul en effet. Et tout en haut de la grille, n'importe quel directeur général dépasse ainsi certainement en pouvoir d'achat le salaire de notre pauvre M. Sarkozy (certes, seul M. Sarkozy bénéficie de Carla et d'un Airbus de fonction. Ce sera sans doute pour plus tard).

Ce détachement matériel permettra donc à nos valeureux fonctionnaires européens, nul n'en doute, de viser sans faillir lorsqu'il faudra trancher dans les avantages sociaux des boeufs restés nationaux.

Et cela ne les empêchera pas d'en demander toujours plus pour eux-mêmes, comme Lady Ashton, chef de notre diplomatie, réclamant déjà 80 postes supplémentaires pour son service extérieur.

Votre journal habituel ne vous a pas parlé de cette infâmie ainsi mise en place ?

Non. Le viol de la démocratie n'émeut plus personne, à part quelques ruminants. Nul doute qu'à propos de ce cadrage budgétaire européen, la bonne presse vous aura enfumé, emboîtant le pas d'un Commissaire européen : "Il s'agit d'une amélioration majeure de notre architecture de gouvernance européenne", s'est félicité le commissaire européen aux Affaires économiques, Olli Rehn."

Il faudra, pour le lecteur honnête et désireux de conserver un nom exact aux choses, s'habituer à traduire "gouvernance européenne" par "dictature bureaucratique".

Jusqu'au jour où des "tea parties" nationales viendront rappeler aux gouvernants qui auront poussé le bouchon un peu loin, d'où procèdent, en réalité, les pouvoirs publics.
Du public.


Edgar

Source :
La lettre volée.

L'observatoire de l'Europe.

 

 

lundi 25 octobre 2010

"L'Horreur européenne" de Frédéric Viale

Un livre intéressant pour faire le point sur l’état de l’Union (européenne), même si l’auteur commet deux erreurs qui seront évoquées en conclusion.
Comme l’indique Susan Georges dans sa préface, Viale est docteur en droit et très au fait des complexités des politiques européennes. Il offre donc avec cet ouvrage un récapitulatif parfait pour suivre les évolutions récentes de l’Europe dans plusieurs domaines.
 
Première idée : la concurrence reste encore et toujours l’axe central des politiques de l’Union.
Placé dès 1957 comme clé de voute de la construction européenne, le principe de concurrence y est resté à travers les multiples avatars du traité initial, renforçant même son rôle avec la prime donnée à la notion de « compétitivité ». Viale excelle à faire comprendre les implications multiformes de ce principe. Ainsi, les grandes entreprises européennes souhaitent en finir avec un maximum de services publics pour se prévaloir, à l’OMC, d’une grande ouverture. Et dans un deuxième temps s’ouvrir ainsi les marchés non-européens. Les aspects internes à l’Union des politiques de la concurrence sont ainsi étroitement reliés à la politique commerciale européenne.
L’auteur note ainsi fort justement que l’Union européenne, bien loin d’être un rempart contre la globalisation, en est un accélérateur. Nombre d’éléments confortent cette assertion : comme Raoul-Marc Jennar, Viale étaye son argumentation de multiples références émanant autant de l’Union que de divers auteurs, journalistes ou politiques. On apprend ainsi par exemple que la Commission européenne refuse aux parlementaires européens la possibilité de consulter les demandes et offres de libéralisation faites par l’Union au sein de l’OMC ! Bel exemple de démocratie.
 
Les politiques macroéconomiques de l’Union sont également mises au service de l’exacerbation de la concurrence. L’euro fort oblige les entreprises européennes à toujours plus d’efforts de réduction des coûts, y compris salariaux, pendant que l’absence d’harmonisation fiscale exerce une constante pression à la baisse sur les prélèvements publics. D’un point de vue libéral, l‘Union est réellement une machine merveilleuse. Le plus fort est que ce sont les privilégiés de l’Union – actionnaires et grandes entreprises – qui amassent des sommes considérables grâce au moins-disant fiscal, qu’ils augmentent encore en devenant créanciers des états qui les ont enrichis !
 
Deuxième idée, Viale prédit la poursuite sans relâche de cette orientation menant à une disparition progressive des services publics. On comprend bien en effet comment ceux-ci ne sont que tolérés, et comment, dans l’Union, ils ont vocation à s’effacer au  profit d’acteurs privés - que ce soit dans les transports, la poste ou même l’enseignement. L’absence de définition des services publics dans les textes européens et l’action de la jurisprudence européenne jouent en ce sens : toute activité de production de biens ou de services a vocation à entrer dans le mécanisme du marché et de la concurrence. La Politique Agricole Commune, l’une des rares politiques européennes « interventionniste » est en train d’être démantelée. En matière de droit social, c’est la même chose. Viale démontre de façon très fine comment la jurisprudence et les pressions de la Commission fragilisent continûment les droits existants malgré la « charte des droits sociaux », texte adjoint au Traité de Lisbonne. Cette charte est sans portée puisqu’elle « ne crée aucune compétence ni aucune tâche nouvelle pour l’Union et ne modifie pas les compétences et tâches définies dans les traités. » Pas demain donc que le progrès social viendra de Bruxelles.
 
L’élargissement européen assure en fait que la concurrence restera encore longtemps le seul point commun entre les 27 pays membres ...serait-ce de la naïveté que de penser que les élargissements sans approfondissement rendent possibles les conditions du chantage aux délocalisations permanent et systématique qui amènent les salariés de l’Ouest à accepter « librement » la dégradation de leurs conditions de travail ? ». De nombreux chiffres enterrent l’idée que les nouveaux entrants dans l’Union bénéficient de cette brutale ouverture : en réalité, les inégalités sociales y ont explosé. Les salariés de l’Ouest ne sont donc même pas sacrifiés pour le bénéfice de leurs homologues de l’est. L’Union européenne est un jeu perdant-perdant.
 
Dans un avant-dernier chapitre, Frédéric Viale montre enfin comment, en toute discrétion, l’Union européenne déploie des politiques franchement incompatibles avec les droits de l’homme. Ceci dans le cadre de la lutte contre l’immigration illégale déployée notamment par l’agence Frontex, qui encourage, en Lybie ou dans d’autres pays méditerranéens, des politiques de répression parfois criminelles pour les candidats à l’immigration. Il estime également que les institutions européennes sont fort peu démocratiques, bien moins que celles des états-membres. La troisième idée forte de l’ouvrage est donc que dans son fond même, l’Union est une construction viciée et vicieuse.
 
Pourtant, au terme de ce plaidoyer implacable à l’encontre de l’Union, Frédéric Viale déçoit grandement. Il estime tout d’abord que la plupart des turpitudes de l’Union sont attribuables, en réalité, aux Etats. Le Conseil européen serait décideur, donc les gouvernements des pays membres. C’est inexact à mon sens. D’une part les réflexions du Conseil et son agenda sont gérés par l’administration bruxelloise. C’est elle qui dure et peut prendre son temps pour imposer ses orientations, quand bien même quelques gouvernements seraient tentés de résister. D’autre part les pouvoirs européens sont si forts dans certains domaines que le Conseil européen n’a plus son mot à dire. On voit bien ainsi que la Banque Centrale Européenne impose son agenda à l’ensemble des gouvernements.
 
La deuxième erreur de Viale peut être attribuée à ce premier défaut d’analyse. Comme il ne sait, finalement, qui de l’Union ou des états est coupable de « l’horreur européenne », il estime qu’il faut changer les institutions européennes plutôt que sortir d’un système qu’il a pourtant décrit comme tyrannique. A ce point, on ne peut que recommander à Frédéric Viale la lecture de « De la servitude volontaire ». Il fait penser à ces militants communistes qui restaient au Parti pour « changer les choses de l’intérieur ».
 
Il existe pourtant un moment où l’on doit constater les dégâts, et savoir tourner la page. C’est le réalisme qui impose de sortir de l’Union européenne, rien d’autre. Le livre de Viale est donc utile pour refaire un point documenté sur les travers de l’Union.
 
Dans ses conclusions, il est déjà dépassé.
 
NB : texte rédigé pour la revue Bastille République Nation, qui vient de reparaître en version papier.

Source :
http://www.lalettrevolee.net/
Le site de Frédéric Viale.

La dette américaine pour 2020 : 20 000 milliards de dollars

dimanche 24 octobre 2010

Etienne Chouard dénonce l'arnaque du "traité simplifié"


Étienne Chouard, né le 21 décembre 1956 à Paris, est un Français qui a connu une certaine notoriété en 2005 à l'occasion de la campagne du référendum français sur le traité établissant une constitution pour l'Europe en argumentant pour le « non ».

Sources :
Wikipédia
France Info

jeudi 21 octobre 2010

L'Allemagne exporte mais se désindustrialise

Selon l'économiste Jacques Sapir, en misant sur ses exportations, l'Allemagne se trouve aujourd'hui confrontée à la concurrence chinoise au point de se rabattre sur ses petits voisins européens. Une stratégie infernale. 

Le problème de la stratégie allemande au sein de l’Union Européenne est aujourd’hui posé. Cette stratégie  est aujourd’hui en train de déséquilibrer durablement les pays du « cœur historique » de l’Union et correspond à l’application d’une véritable stratégie d’exploitation de ses voisins (appelée en langage économique « stratégie du passager clandestin »). Ce pays a tout misé sur sa capacité à exporter, un choix dangereux qui désormais le met à la merci des fluctuations de l’économie mondiale. Aujourd’hui déficitaire vis-à-vis de la Chine, l’Allemagne est obligée de se concentrer sur l’Union européenne (voir Annexe) car sa balance commerciale avec les pays émergents est en train d’être déficitaire.

L’écart de compétitivité que l’Allemagne a construit avec ses partenaires n’est pas principalement lié à la capacité de ce pays d’avoir un taux d’inflation faible. Si depuis 2001, l’indice de compétitivité calculé par  rapport aux prix à la consommation (CPI) montre un avantage de l’Allemagne, ce dernier n’est pas significatif avec des pays comme la France, l’Autriche, la Belgique ou l’Italie par rapport auxquels elle accumule les  excédents (70,8 milliards d’Euros en 2009 pour un total de 115 milliards pour l’ensemble de l’UE).
L’adoption d’un  indicateur de compétitivité basé  sur  le déflateur du PIB nous  fournit une autre image.


Les  écarts  de  compétitivité  apparaissent  ici  nettement  plus  importants.  L’indice  de compétitivité construit sur  le déflateur du PIB permet par ailleurs d’introduire  les coûts de productions pris dans le sens le plus large.
De ce point de vue, cet indice de compétitivité est déjà bien plus réaliste. Cependant, il peut laisser à penser que c’est grâce à des gains de productivité particulièrement importants en Allemagne que c’est construit l’avantage compétitif.
Or, une étude de la fondation Robert Schuman tend à montrer que le niveau de productivité de l’Allemagne  n’est  pas  extraordinaire  par  rapport  à  la moyenne  de  l’UE. En  fait  des  pays comme la France, l’Autriche et l’Irlande obtiennent des résultats meilleurs. La prise en compte de la productivité globale (PIB que divise la population active) a tendance à  favoriser  les  pays  qui  ont  un  secteur  financier  très  développé. Mais,  si  cela  permet d’expliquer les excellents résultats de l’Irlande, du Luxembourg et des Etats-Unis, on est dans
le cas d’une comparaison entre la France et l’Allemagne avec une structure de la production qui est à peu de choses près équivalente. Les résultats sont donc comparables.


L’analyse du Graphique 4  indique un décalage de près de 15% entre  le coût du  travail réel entre l’Allemagne et la France, alors que le la hausse des prix ne peut expliquer qu’environ 5% en termes de décalage avec l’Allemagne.
Ceci reflète l’effet de la politique fiscale allemande qui, en 2002, a décidé de transférer massivement  les  charges  patronales  sur  la  fiscalité  pesant  sur  les  salariés  et  la population. À  travers  l’application  de  cette  «  TVA  sociale  »,  l’Allemagne  a  réalisé l’équivalent d’une dévaluation de 10% au sein de la zone Euro qui avait été conçue pour éviter en principe ce type de stratégie. Il faut noter que cette politique allemande de compression des coûts unitaires du travail n’a été possible que parce que les autres pays n’appliquaient pas une politique similaire. L’Allemagne n’a pu se permettre une telle politique que dans la mesure où ses voisins faisaient l’opposée. Si tout le monde avait pratiqué la même politique de contraction du coût réel du travail, l’Europe aurait été plongée dès 2003 dans une terrible dépression. Le gouvernement allemand doit donc être mis devant ses responsabilités. C’est lui qui a pratiqué une politique de « Passager Clandestin» et qui a rompu le pacte Européen le premier.
Le  tableau de  la balance commerciale de  l’Allemagne vis-à-vis de  l’UE qui est présenté en annexe le confirme. Trois choses sautent aux yeux à la lecture de ce tableau. Tout d’abord, l’excédent commercial réalisé  sur  les  6  premiers  pays  européens  (France,  Royaume-Uni,  Autriche,  Belgique, Espagne,  Italie) est considérable.  Il  représente environ 103 milliards d’Euros,  sur un  total d’environ  116 milliards.  Si  l’on  ne  considère  que  la  France,  l’Espagne  et  l’Italie,  nous obtenons déjà près de 51 milliards d’Euros d’excédents. Ensuite,  il  faut  y  ajouter  la  faiblesse  relative  de  l’excédent  sur  les  Etats-Unis. Avec  18 milliards  d’Euros,  nous  sommes  à  un montant  inférieur  non  seulement  à  la  France  (27 milliards) mais aussi au Royaume-Uni et même à l’Autriche. Ceci indique bien à  quel point les excédents allemands sont régionalement concentrés. Ils sont réalisés pour les trois-quarts sur les pays de l’Union européenne. Enfin, et ce point est aussi important que les deux autres, on s’aperçoit que l’Allemagne est en déficit vis-à-vis de  la République Tchèque, de  la Slovaquie et de  la Hongrie. Pourtant, ces pays sont en retard économiquement, et ne produisent pas de matières premières. Ici, ce que nous  voyons,  c’est  le  processus  du  basculement  du Made  in  Germany vers  le Made  by Germany. L’Allemagne délocalise massivement la production des sous-ensembles industriels chez  ses  voisins  immédiats  de  l’Europe Centrale  et  ne  conserve  que  l’assemblage  final, vendant  alors  aux  autres pays des produits qui  incorporent  l’effet des productions  à  forte productivité mais bas coûts des sous-traitants.
Ainsi peut-on comprendre pourquoi  il n’est pas contradictoire de dire dans  la même phrase que  l’Allemagne  s’affirme  comme  exportatrice  de  biens  industriels  et  qu’elle  se désindustrialise. L’évolution des chiffres de l’emploi industriel en Allemagne confirme cette tendance d’une désindustrialisation du pays. Socialement, ceci a pour effet de  faire baisser relativement, mais  aussi  parfois  de  manière  absolue,  les  salaires  ouvriers et  employés. L’Allemagne va peut-être bien, mais sa population vit de plus en plus mal, à l’exception du 1%  le  plus  riche  qui,  à  une  échelle  moindre  qu’aux  Etats-Unis  mais  de  manière  plus importante qu’en France, accumule  toujours plus de richesse. Avec plus de 12% du revenu national, ce 1% le plus riche a même dépassé le niveau historique de la fin des années vingt et du  début  des  années  trente  et  se  rapproche  dangereusement  des  niveaux  qui  avaient  été atteints en 1936 et 1937 du temps du nazisme.
Il  est  donc  établi  que  la  politique  du  gouvernement  allemand  pose  aujourd’hui  un problème à  l’UE en raison du déséquilibre qu’elle  introduit au sein même de  l’Union. Une politique de « passager clandestin » n’est clairement pas acceptable. Les  travailleurs allemands ont  été  les premières victimes de  cette politique. Mais,  ils entraînent à leur suite les travailleurs des principaux pays européens. Il  faut  donc mettre  le  gouvernement  allemand  devant  le  choix  suivant  :  soit  nous appliquons unilatéralement des montants compensatoires d’environ 15% à  son égard soit il s’engage à augmenter rapidement les salaires (par le biais d’une hausse du salaire minima) de 10% et il procède de la sorte à une relance à l’échelle européenne.

Jacques SAPIR

Source.

Quand le FMI flingue la BCE et Jacques Attali

C’est le discours dominant des élites politico-économiques : il faut réduire les déficits pour relancer la croissance. Jean-Claude Trichet et Jacques Attali dans le rapport de sa commission reprennent en chœur cet argument… que le FMI vient de démonter, comme le rapporte The Economist.

Une remise en cause des arguments néolibéraux

Il faut reconnaître à l’hebdomadaire anglais une belle rigueur intellectuelle pour remettre en cause cette idée véhiculée par la plupart des néolibéraux, selon laquelle la baisse des déficits produirait davantage de croissance du fait du surcroît de confiance que la rigueur procurerait. En effet, pour eux, trop de déficits impliquent une future hausse des impôts qui poussent les acteurs économiques à restreindre leur consommation et leurs investissements, limitant ainsi la croissance.

Comme toutes les constructions intellectuelles des néolibéraux, les arguments ont une certaine logique. Mais comme très souvent, cette logique apparemment imparable se heurte sur le mur des réalités. C’est ce que démontrent des études de personnes pourtant peu susceptibles d’hostilité systématique à l’égard du libéralisme. The Economist détaille ainsi les résultats d’une étude de deux économistes de Harvard, confirmée par une autre du FMI.

Moins de déficit, c’est moins de croissance, à court terme

Ils ont étudié plus d’une centaine de consolidation fiscale (amélioration du solde primaire du budget d’au moins 1.5% du PIB) dans les pays riches. Les conclusions sont sans appel : un ajustement fiscal de 1% du PIB provoque dans les deux ans :
- une baisse du PIB de 0.5%, 
- une baisse de la demande intérieure de 1%, 
- une augmentation du chômage de 0.3 point, et, du fait de la baisse consécutive des taux d’intérêt et de la monnaie, une progression de 0.5% des exportations.

Le FMI souligne également qu’en cas d’impossibilité de baisse des taux d’intérêt (comme c’est le cas en Europe du fait de leur très faible niveau), alors l’effet est deux fois plus important. Enfin, il souligne que dans un environnement où tous les pays engagent la même politique, les effets pourraient être démultipliés. The Economist conclut : « beaucoup de gens pensent que la consolidation fiscale est un plus à long terme. Mais penser qu’elle est indolore à court terme est une erreur ».

Ce que cela signifie pour l’Europe

D’ailleurs, cela est parfaitement illustré par l’impact des plans d’austérité sur les économies grecques et irlandaises. La très forte baisse de leur PIB montre bien les conséquences de ces plans. Cette étude démontre aussi les dangers majeurs apportés par l’euro, à savoir que les pays de la zone ne peuvent même pas compter sur une dépréciation de leur monnaie pour amortir les effets de la crise, contrairement à ce qui se passe classiquement dans les pays qui mènent une politique d’austérité.

Bref, tout ceci démontre que l’Europe s’enferme elle-même dans un cul de sac économique où l’austérité budgétaire plombe une croissance déjà anémique, ce qui contribue à alourdir plus encore le poids de la dette, renforçant ainsi le besoin d’austérité. L’Europe est entrée dans un cercle vicieux d’austérité dont la logique est similaire à celle qui préside à la réforme des retraites ou même au rapport Attali qui met la réduction des déficits comme un préalable à tout.

En réalité, comme l’avait bien compris Keynes, le préalable à tout est une reprise de la croissance et une lutte acharnée contre le chômage, par tous les moyens possibles. C’est ainsi que nous remettrons les finances publiques en ordre, pas en appliquant une austérité qui va aggraver le mal.



Jacques Attali, expert en acquiescement

La dépense publique est-elle l’ennemie de l’activité économique ? Jacques Attali le prétend, qui propose d’amputer cette dépense de 50 milliards d’euros en trois ans, afin de « libérer la croissance ». Or on cherche vainement, dans les 176 premières pages de son rapport au Président de la République, un argumentaire crédible justifiant cette assertion. Il faut atteindre la page 177, la dernière, pour découvrir la clé de sa conviction. Elle figue en bonne place dans la lettre de mission que l’expert en tout ou presque avait reçue du Chef de l’Etat et du Premier ministre :
« Vos propositions devront s’inscrire pleinement dans le cadre du rétablissement de l’équilibre de nos finances publiques. Vous pourrez proposer toutes les mesures que vous jugerez pertinentes pour réduire la dépense publique et améliorer l’efficacité des services publics. »
Il devenait inutile, voire insolent, d’expliquer pourquoi et comment, dans un pays en panne de consommation, une réduction de la dépense publique pourrait demain « libérer la croissance ». Jacques Attali a préféré évoquer le passé des sept pays qui, dans les années 1990,  freinèrent leur dépense publique : Suède, Canada, Nouvelle Zélande, Finlande, Danemark, Italie et Irlande. 
Il cite deux sources en renvoi de note. La première est trop vague pour être retrouvée : « OCDE, 2010 »… La deuxième est un peu courte : il s’agit d’un papier de la banque Natixis analysant « les caractéristiques des consolidations budgétaires réussies ».
Les « réussites » en question sont cependant sujettes à caution et d’imitation délicate. Tous ces pays, remarque Natixis, ont commencé par enclencher une politique monétaire agressive. Le Canada, par exemple, dévalua de près de 30% par rapport au dollar des Etats-Unis, durant la décennie 1990. 
On ne s’étonnera donc pas, qu’il ait profité à plein de la reprise économique américaine des années Clinton. A côté de ce puissant moteur,  l’effet « dépense publique » n’est pas mesurable.  
 La Suède a certes drastiquement réduit sa dépense publique durant la décennie 1990. Mais celle-ci partait de si haut – plus de 70% du PIB en 1993 ! – qu’elle ne fut pas ramenée au niveau français avant… 2007. Où placer le curseur de la dépense pour assurer la reprise ? 
Au demeurant, il y a plus d’une manière de mesurer le poids de la dépense publique. Rapportée au PIB, celle-ci place la France au 4ème rang européen. Notez alors que les trois pays qui en font plus – Danemark, Finlande et Suède - sont cités comme des exemples à suivre par le rapport. Comprenne qui pourra.
 Mais si l’on mesure la dépense publique par habitant, ce qui n’est pas moins pertinent, alors la France n’est plus qu’à la dixième place au classement de l’Union européenne à 27 pays, et donc dans le peloton de queue parmi les quinze pays les plus développés de l’Union. Troublante observation.

  Des idées toute faites émaillent ainsi le rapport Attali. On y lit par exemple que « le coût du travail est un facteur établi de perte de compétitivité d’un pays » (p.21). Ou encore que « le niveau des charges sociales défavorise notre pays dans la concurrence internationale et freine la création d’emplois ».
Or ce qui compte, dans la compétition internationale, ce n’est pas le poids des charges sociales mais le coût total du travail, rapporté à la productivité de la main d’œuvre. En France, où les charges sociales sont lourdes mais les salaires relativement bas, le coût horaire du travail est loin de battre des records - bien que la productivité d’un salarié français soit supérieure de 21% à la moyenne européenne. 
 Enfin, p.57, le rapport hésite entre deux options pour l’assurance dépendance des personnes âgées. La première est une assurance privée obligatoire. La seconde est une assurance privée facultative. Il n’est pas indiqué comment cette dépense privée, alourdie par les coûts de gestion prohibitifs, favorisera la croissance économique. Le temps manquait à l’expert.

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mercredi 20 octobre 2010

Hervé Juvin sur Europe 1


 "Notre naïveté européenne nous pousse à parler de marchés émergents... ce sont des puissances émergentes. L'Inde et la Chine sont extrêmement conscientes qu'elles étaient les deux premières puissances mondiales jusqu'à ce que la Grande-Bretagne, de manière absolument criminelle, les casse. Il ne faut pas oublier les trois guerres faites par la Grande-Bretagne à la Chine pour l'obliger à importer de l'opium, pour obliger à ce que tous les hommes chinois se droguent pour équilibrer sa balance commerciale."

La TVA sociale pour sauver le système de protection sociale ?


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dimanche 17 octobre 2010

L’UE et les réseaux politiques et financiers de Jean Monnet (1ère partie)

Comment un banquier de Wallstreet a privé les pays européens de leur souveraineté

 

L’UE d’aujourd’hui a une double histoire. L’une visible, qui se trouve dans la majeure partie des manuels d’histoire, et l’autre, invisible, dont personne ne devrait apprendre l’existence mais qui a commencé bien longtemps avant celle que nous connaissons tous. Jean Monnet a été la charnière entre ces deux versions de l’histoire.

Dans les pays germanophones, c’est grâce à l’ouvrage d’Andreas Bracher, «Europa im amerikanischen Weltsystem. Bruchstücke zu einer ungeschriebenen Geschichte des 20. Jahrunderts» [L’Europe dans le système mondial américain. Morceaux d’une histoire inédite du XXe siècle.] (en allemand, 2001, ISBN 3-907564-50-2) qu’on a pu mettre en question la biographie officielle du soi-disant sacro-saint «père fondateur de l’Europe». Andreas Bracher a posé des questions qui font apparaître sous une autre lumière l’histoire de la construction d’un organisme supranational à la suite de la Seconde Guerre mondiale: ce n’est plus le projet d’une coopération des peuples européens pour assurer la paix, mais le projet d’une hégémonie anglo-américaine avec Jean Monnet comme «inventeur et guide d’institutions pour une coopération supranationale et comme centre d’influences anglo-saxonnes sur le continent.» Car, selon Bracher, l’Europe supranationale de l’après-guerre reposait sur «des initiatives qui souvent étaient financées par de l’argent venant des USA notamment des services secrets de la CIA.» Monnet était «l’outil d’une politique de longue haleine dont un but est apparemment l’état unitaire européen.»
Des travaux de recherches des dernières décennies à l’écart de la pensée unique comme ceux de Carroll Quigley («Katastrophe und Hoffnung. Eine Geschichte der Welt in unserer Zeit» [Tragédie et espérance. Une histoire du monde dans notre temps] en allemand, 2007, ISBN 3-907564-42-1) ou d’Antony Sutton («Wallstreet und der Aufstieg Hitlers» [Wallstreet et l’ascension d’Hitler], en allemand, 2008, ISBN 978-3-907564-69-1) ont montré comment le bloc anglo-américain et ses élites financières ont préparé pendant la première moitié du XXe siècle deux guerres mondiales. Cela correspondait à la réflexion géostratégique des élites diri­geantes anglo-américaines, vieille de plus d’un siècle, d’empêcher coûte que coûte une coopération politique et économique – avec un éventuel noyau formé par l’Allemagne et la Russie – car certains cercles américains et britanniques considéraient une telle coopération comme une menace contre leur position d’hégémonie mondiale.
De toute évidence, ce courant a été maintenu à la suite de la Seconde Guerre mondiale et se retrouve aussi dans les réflexions géostratégiques de Zbigniew Brzezinski
 ancien conseiller à la sécurité du gouvernement américain, que celui-ci a formulé ouvertement en 1997 dans son ouvrage «Le grand échiquier. L’Amérique et le reste du monde.», Hachette 2000, ISBN 978-2-012789-44-9.
A la question qui porte sur le but du projet anglo-américain d’après-guerre pour une Europe unie avec Monnet comme promoteur, Andreas Bracher a apporté une pre­mi­ère réponse: «Le scénario de ces années-là sug­gère qu’un groupe d’hommes a fait avancer la guerre froide pour l’utiliser comme arrière-fond à d’autres projets. De l’exagération du danger soviétique est issue cette situation politico-psychologique dans laquelle les Européens se trouvèrent prêts à se rassembler sous le bouclier des USA pour assurer ainsi l’attachement à l’Ouest de l’Allemagne. Dans ses ‹Mémoires›, Monnet lui-même caractérisa la situation de la façon suivante: ‹Les hommes n’acceptent le changement que sous l’empire de la nécessité.›»
Eu égard à ce rôle de Jean Monnet, il vaut la peine de tenter de répondre à la question: «Qui était Jean Monnet?» La biographie de 1000 pages qu’Eric Roussel a présentée, fournit beaucoup d’informations et nous y obtenons aussi des informations impor­tantes sur les personnes avec lesquelles Jean Monnet coopérait étroitement. («Jean Monnet, 1888 –1979», Fayard 1996, ISBN 978-2-213-03153-8).

Jean Monnet et l’UE actuelle

L’UE actuelle est une construction supra­nationale. Les Etats membres ont aban­donné une grande partie de leurs droits de souveraineté. Ce fut Jean Monnet qui fit d’une mani­ère décisive avancer la construction des institutions supranationales. Elles furent implantées par le haut dans le but que les différents Etats et leurs citoyens s’adaptent et se soumettent à ces directives.1 Pour Monnet des institutions installées par le haut étaient plus importantes que celles réalisées par les citoyens eux-mêmes.
Le Traité de Lisbonne, entré en vigueur en novembre 2009, entraîne pour les différents Etats européens une renonciation supplémentaire de souveraineté et de droit au profit d’une domination des institutions de l’UE sans liens avec les peuples. La souveraineté et l’Etat de droit, et avec cela l’autodétermination de la nation constituée comme elle est définie depuis la Révolution française, furent réduites pas à pas, un procédé qui s’étend à toute l’histoire de l’UE.
Durant toute sa vie Monnet exprima que l’existence des Etats-nations était inutile, voire dangereuse pour le maintien de la paix. Par conséquent on devait les supprimer. Les «Etats unis d’Europe» les remplaceraient, et ce serait à eux que les Etats-nations céderaient des droits de souveraineté importants.
Mais Monnet alla encore plus loin. En théorie et en pratique, les représentants élus par le peuple le gênaient. A quelque moment que ce soit, il manœuvrait à côté d’eux et en plus des représentations élues et établies, il créa des «comités» privés, qu’il pourvoyait de personnes de sa confiance qui provenaient de tous les domaines de la vie publique.
Dans le sens de Monnet ces comités servaient à organiser l’Europe et également à intégrer des avis potentiellement contraires. Le Comité pour les Etats unis de l’Europe2 y jouait un rôle particulier. Outre cela, il y avait des commissions qui avaient pour tâche de transformer les différents Etats de l’intérieur. En 1945/46, des régions entières de France ont été transformées d’après le modèle américain, p.ex. par le projet géant «Bas-Rhône-Languedoc».3 On y reconnaît la «régionalisation» de l’Europe, mise en pratique par l’UE actuelle et également dirigée contre les Etats-nations, et qui, sans égard pour les structures naturelles, se fait d’après des critères purement économiques. Les recherches de Pierre Hillard4 montrent, qu’aujourd’hui toute l’Europe est recouverte et pénétrée par des organisations, des regroupements et des associations en vue de faire éclater de l’intérieur les Etats-nations.
Pour permettre ce développement, Monnet se procura à plusieurs reprises de l’argent provenant de l’espace anglo-américain. Cela fut rendu possible grâce à ses relations avec des amis intimes appartenant aux cercles de la haute finance et de la politique – des relations qu’il avait déjà commencé à nouer avant le début de la Seconde Guerre mondiale.

Monnet, les élites financières et la politique d’hégémonie à l’époque des guerres mondiales

Longtemps avant qu’on parle officiellement de l’«Europe unie», Jean Monnet s’affairait déjà sur la scène internationale du com­merce. Né en 1888 comme fils d’un négociant en cognac, il quitta l’école à seize ans pour aller à Londres dans une famille de négociants, partenaires de son père, pour y apprendre la vie et le fonctionnement de la City.5 Deux ans plus tard, il fut envoyé au Canada où il lia de premiers contacts qui dureront toute sa vie. Il y conclura des contrats importants pour l’entreprise familiale, en particulier avec la Hudson’s Bay Company qui possédait le privilège de vendre de l’eau-de-vie aux trappeurs lesquels, de leur côté, la revendaient aux Indiens. Parmi les administrateurs de cette compagnie il fit la connaissance d’hommes qui, plus tard, allaient influencer «le destin du monde».6
Jean Monnet resta donc aux Etats-Unis jusqu’à l’éclatement de la Première Guerre mondiale. Il continua à y nouer des relations d’affaires qui dureront toute sa vie. De fréquents voyages le menèrent en Angleterre, en Scandinavie, en Russie et en Egypte. En juillet 1914, lorsque la guerre éclata, il rentra en France. Le jeune homme de 26 ans ne fut cependant pas mobilisé. Pour «se rendre utile» il alla voir le Président du Conseil, René Viviani, replié à Bordeaux à ce moment-là. Ce fut l’avocat de son père qui établit le contact.7 Monnet présenta à Viviani l’offre de la Hudson’s Bay Company d’accorder un prêt de 100 millions de francs-or en faveur de la Banque de France pour que la France pût acheter du matériel de guerre aux USA. L’affaire fut conclue. La Hudson’s Bay Company accorda, outre ses crédits, aussi l’appui de sa flotte commerciale.
Après avoir mené à terme l’affaire franco-américaine, Monnet se rendit à Londres pour y mettre en route une affaire semblable, cette fois-ci entre la France, l’Angleterre et les Etats-Unis. Lors de ces négociations, il fit la connaissance d’hommes politiques et d’affaires influents.8
Mais Monnet ne se contenta pas d’affaires purement commerciales. Il lia les affaires à la politique en s’investissant dans la fondation du Comité interallié pour les transports maritimes. Après la fondation de ce comité en 1918, deux millions de soldats américains furent amenés en Europe par voie maritime.
Du côté français, Monnet coopéra étroitement avec Etienne Clémentel qui dirigeait un véritable «superministère». Clémentel eut l’idée d’un contrôle interallié permanent des matières premières par-delà les temps de guerre. Cette idée sera réalisée plus tard par Monnet sous forme de la Communauté européenne du Charbon et de l’Acier.
Fidèle à sa devise que «les hommes n’acceptent le changement que sous l’empire de la nécessité»8a – dans le cas présent l’empire de l’économie de guerre – Monnet effectua un pas décisif vers la réalisation du «projet de sa vie»: les frontières des Etats-nations furent transgressées, la déconstruction des Etats souverains commença. Les banques et les sociétés commerciales pouvaient dès lors poursuivre leurs affaires sans se soucier des barrières nationales – et cela avec le soutien des politiciens.
En raison de ses relations étroites avec des politiciens et hommes d’affaires anglais, avec les milieux d’affaires et financiers américains et des hommes politiques français influents, Monnet fut nommé secrétaire général adjoint de la Société des Nations (SDN), nouvellement fondée. Le réseau de ses relations comprenait tous ceux qui allaient être responsables de la construction du monde d’après guerre.
Monnet utilisa l’institution de la SDN pour «la mise en réseau» de décideurs au niveau international. Il y collabora avec les plus importants fonctionnaires internationaux et élargit son réseau par de nouvelles connaissances dans le monde de la politique. L’élargissement de ce réseau paraît avoir été l’activité principale de Monnet car il ne participa qu’à la moitié des réunions de la SDN et travailla sur beaucoup moins de dossiers que les autres fonctionnaires.9
A la SDN, le plus important pour lui fut de sauvegarder les structures construites pendant la guerre entre les Nations parce qu’elles étaient une condition préalable importante au libre-échange international. L’autre con­quête importante des expériences de guerre, la co­opération entre politique et milieux d’af­faires, restait à élargir, en particulier dans les do­maines des transports et du crédit.10
En 1922, Monnet quitta la SDN pour renforcer son action au sein du monde des finances. Il devint vice-président de la puissante banque d’investissement américaine Blair & Co, effectua des opérations financières d’une ampleur importante et élargit son cercle de relations aux Etats-Unis auprès de personnages très influents.11 En outre, il fonda aux USA la banque Monnet, Murnane & Co.12 Ainsi il se trouva au centre de la haute finance internationale et participa à la formation de puissants syndicats financiers anglo-américains. Comme vice-président de la banque Blair & Monnet Inc. avec siège à Paris, Monnet joua un rôle décisif dans la stabilisation de la monnaie française en 1926. Ayant la confiance du président du Federal Reserve Board (FED),13 il prit officiellement le rôle d’intermédiaire entre la France et les USA. Quand il fut question du règlement des dettes de guerre françaises et des relations financières bilatérales, il se fit le porte-parole du point de vue américain: la Banque de France devait conclure des contrats avec la FED et d’autres banques d’émission. Ainsi l’indépendance, si chère à la France d’antan, fut abandonnée au profit d’un rattachement étroit aux Etats-Unis. En plus, Monnet participa à la fondation de la Bancamerica Blair et de la Banque des règlements internationaux (BRI) avec siège à Bâle (où il réussit à imposer le candidat de choix américain à la présidence).
Quand, en 1936, la Wehrmacht allemande occupa la Rhénanie en violation du Traité de Versailles, Jean Monnet fit aux Etats-Unis la connaissance de l’ancien chancelier de la République de Weimar, Brüning, qui lui assura que les chefs de la Wehrmacht allaient suivre Hitler aveuglément en cas de guerre si les démocraties occidentales n’intervenaient pas sur-le-champ. Mais Monnet n’entreprit rien contre l’éclatement de la guerre. Au con­traire: connaissant bien William Bullitt, l’ambassadeur américain à Paris et conseiller intime du président Roosevelt, il réussit à persuader le gouvernement américain de construire des avions militaires pour la France. Après avoir surmonté l’obstacle de la loi de neutralité, le marché fut conclu et apporta un coup de relance important à l’économie américaine.    •

1    Dans une lettre adressée à Dean Acheson (secrétaire d’Etat au ministère des finances de Roosevelt, secrétaire d’Etat adjoint de 1945-1949, secrétaire d’Etat de 1949-1953) Monnet écrit le 23/11/62: «Dans la mesure où les intérêts sont de plus en plus unifiés, les vues politiques doivent être de plus en plus communes. […] Je pense que si nous voulons unir les hommes, nous devons unir les intérêts d’abord et pour cela il est nécessaire que les hommes acceptent d’agir selon les mêmes règles, d’être administrés par les mêmes institutions. Je sais que cela peut sembler un long processus, mais un changement dans l’attitude des hommes est nécessairement un processus lent.» Dean Acheson Papers, Box 28, Folder 288. Yale University Library, New Haven/Connecticut, cité d’après E. Roussel, op. Cit. p. 766.
2    Le comité fut fondé en 1955 par Monnet lui-même et continua à exister sous sa présidence jusqu’en 1975.
3    La région Bas-Rhône-Languedoc fut complètement restructurée d’après le modèle américain. «Il a fallu passer par-dessus toutes les administrations, créer une Haute Autorité» et «il y a eu des frictions avec les services officiels.» E. Roussel, op.cit. p. 494.
4    cf. Hillard, Pierre, La Marche irrésistible du nouvel ordre mondial, F.-X. de Guibert 2007.
5    Place financière de Londres
6    La Hudson’s Bay Company était la plus ancienne société commerciale canadienne. Elle dominait le commerce des fourrures dans de grandes parties de l’Amérique du Nord et agissait dans beaucoup de régions comme agent du gouvernement britannique. Son réseau de postes commerciaux était le noyau de la future administration officielle dans l’ouest du Canada et des USA. Le gouverneur de la Compagnie de 1916 à 1925 était Sir Robert Kindersley dont Monnet avait fait la connaissance lors de son premier séjour au Canada. Kindersley fut de 1914 à 1946 gouverneur de la Banque d’Angleterre et, depuis 1905 déjà, partenaire de la banque de commerce Lazard Brothers & Co. dont il devint président du comité directeur en 1919.
7    «Maître Benon, l’avocat de l’entreprise connaît bien René Viviani […] les relations maçonniques unissant les deux hommes ont joué un rôle dans l’affaire.» E. Roussel, op.cit. p. 48.
8    Par exemple le Colonel House, à vrai dire Edward Mandell House (1854-1938) éminence grise et le plus important conseiller en affaires étrangères des présidents Woodrow Wilson et Roosevelt; auteur d’un livre, intitulé «Philip Dru, Administrator», où il évoque un coup d’Etat par un officier qui établit une dictature aux Etats-Unis. A Lord Milner, il confie que ce sont là ses convictions profondes. Robert Welch University Press, 1998. cf. Hillard, Pierre, La décomposition des nations européennes, Paris 2010, p. XIII.
8a    E. Roussel, op.cit. p. 68
9    Il participa à 30 des 70 sessions. cf. Fleury, Antoine: Jean Monnet au secrétariat de la SDN p.40. In: Bossuat, Gérard; Wilkens, Andreas, Jean Monnet, l’Europe et les chemins de la Paix. Colloque à Paris 29-31/5/97. Publications de la Sorbonne 1999.
10    Jilek, Lubor: Rôle de Jean Monnet dans les règlements d’Autriche et de Haute-Silésie, p. 47, in: Bossuat, Gérard – Wilkens, Andreas, op.cit.
11    John Mc Cloy, avocat à Wallstreet, conseiller de tous les présidents américains de Roosevelt à Kennedy, gouverneur de la banque nationale, haut-commissaire en Allemagne après la Seconde Guerre mondiale. Responsable de la décision de ne pas bombarder les chemins de fer menant à Ausch­witz, responsable du fait que beaucoup de criminels de guerre condamnés furent libérés prématurément et que les Flick et Krupp récupèrent leurs biens. John Foster Dulles, avocat, secrétaire d’Etat du président Eisenhower, représentant principal de la politique de l’endiguement («containment») du communisme (guerre froide). Walter Lippmann, journaliste mondialement connu d’origine judéo-allemande, proche collaborateur du Président Wilson et de son éminence grise le Colonel House lors de la rédaction des 14 points du projet de Traité de paix de Versailles.
12    Monnet, Murnane & Co est associée à la Chase Manhattan Bank, New York.
13    Federal Reserve Board, aussi nommé Board of Governors, le comité directeur du Federal Reserve System. Ses 7 membres sont élus tous les 14 ans par le président des Etats-Unis et nommés par le Sénat. Leur tâche est l’émission des billets de banque et la surveillance complète de la politique bancaire.

Source : http://www.horizons-et-debats.ch